Un témoignage : Je suis Franc-maçon, et alors…
Je suis Franc-maçon, et alors…
Franc-maçon depuis plus de trente ans, et auteur d'ouvrages maçonniques de vulgarisation et de référence, l'auteur de ce texte revendique son appartenance à un Ordre séculaire qu'il rattache aux traditionnelles fraternités plutôt qu'aux courants citoyens et politiques.
Pour lui, si à certains moments de l'Histoire française, des maçons ont jugé nécessaires de prendre les armes contre les intransigeances et les excommunications philosophiques c'est qu'ils y ont été contraints ; et non par vocation ou par discipline.
L'auteur se prévaut d'être franc-maçon et d'oeuvrer, sous l'égide du Grand Architecte de l'Univers, à l'amélioration de l'homme. Tout un programme.
Avec trois enfants et une demi-douzaine de petits enfants, j'ai presque passé l'âge d'être grand-père. Rien donc de bien particulier dans mon état civil : je suis un (vieux) français que l'on dit communément « moyen », apÂprochant calmement, dans la sérénité, le terme de son âge.
Ce qui me singularise, cependant, au risque de contraÂrier certains de mes amis, c'est que je suis « Franc-Maçon » – membre actif d'une « Confrérie » aux apparences de secte qui, si l'on en croit la rumeur publique et le qu'en-dira-t-on, tient souvent dans l'ombre les rênes du pouvoir politique et de la fiÂnance.
Je suis Franc-Maçon !
Je le revendique, sans fierté ni fausse modestie ; c'est ainsi. Il n'y a, toutefois, à mes yeux, aucune raison pour quiÂconque de s'inquiéter à mon égard. Ma seule force politique est celle de mon bulletin de vote que l'on me demande parÂfois de glisser dans l'urne, ma seule puissance financière est celle, bien limitée, de mon compte-chèque bancaire.
UNE FORCE OCCULTE
Depuis qu'elle existe, la Franc-MaÂçonÂnerie n'a cessé d'exÂciter et d'exacerber les rumeurs et les passions. On s'intéresse toujours, avec des yeux plus critiques que compréhensifs, aux institutions que l'on ne connaît pas. Il n'est, pour s'en conÂvainÂcre, que de consulter l'un ou l'autre de ces dossiers de presse qui sont publiés dans nos hebdomadaires lorsque l'inforÂmaÂtion générale et politique se raréfie.
La Franc-MaçonÂnerie cultive le secret ; donc elle est une secte dangereuse qu'il appartient de surveiller, voire d'inÂterdire. Et pourtant, malgré les surveillances, les interÂdictions, les persécutions même dont elle a pu faire l'objet dans le passé, la Franc-Maçonnerie continue à exister, à œuvrer dans la discrétion, non pour s'assurer la prise du pouvoir politique ou la domination de la finance, mais plus simplement, quoi qu'on puisse en croire ou en penser, pour permettre à des gens comme moi, comme vous, bref comme n'importe qui, de cultiver et de développer en soi des prinÂcipes de spiritualité, d'ésotérisme et de fraternité.
Le Franc-Maçon est, en fait, un « philosophe » qui s'ignore, qui rêve de lendemains meilleurs tant pour lui-même que pour ceux qui l'entourent, qui désire pouvoir insérer « sa » pierre, celle qu'il entend modeler et façonner tout au long de sa vie, dans l'édifice moral et spirituel de l'HumaÂnité.
LA FRANC-MAÇONNERIE, C'EST QUOI ?
A cette question, je vais m'efforcer, franchement, de réÂponÂdre. En émettant d'abord ce postulat d'évidence : avant de saÂvoir où aller, il est bon de savoir d'où l'on vient. Comme l'a affirmé un philosophe dont j'ai ouÂblié le nom :
« Si un homme n'a pas de passé, il ne peut prétendre avoir un avenir. »
Ce qu'a bien traduit un rituel maçonnique en ces termes :
« C'est avec les lumières du passé que l'on se dirige dans l'obscurité de l'avenir… »
Je laisserai à d'autres le soin de trancher ; en tout cas, à vous lecteur, à vous lectrice, en me lisant ci-après, celui de déterminer si la Franc-Maçonnerie peut constituer, pour vous, le chemin d'un futur meilleur – en tout cas plus épaÂnouissant.
Au dix-huitième siècle, on voyait volontiers chez Adam le fondateur de la Confrérie, et en Salomon son plus célèÂbre Grand Maître. Plus tard, on a fait référence aux consÂtrucÂteurs de cathédrales, aux corporations de maçons et de tailÂleurs de pierre, aux chevaliers du temple.
Aujourd'hui, après que tout a été dit et écrit, on se doit de reconnaître que l'on ignore encore d'où vient la Franc-MaÂçonÂnerie. On peut la rattacher aux « Collegia » romains – formes premières des corporations –, aux groupes de maçons « libres » – donc « francs » – se transmettant en loge, au pied des cathédrales qu'ils édifiaient, le savoir faire de leur méÂtier ; on peut l'associer aux confréries médiévales. On peut même encore lui attribuer une certaine parenté avec le ComÂpagnonnage.
Tout est possible, et rien n'est moins sûr.
Ce qui est indéniablement établi c'est que dès 1459 ont été rédigés les différents articles de la Corporation des tailÂleurs de pierre de Ratisbonne (en Allemagne). Il y était spéÂcifié qu'aucun entrepreneur ou maître ne doit vivre ouverteÂment en concubinage ; que le maître ne doit engager aucun comÂpagnon soupçonné de mener une exisÂtence dissolue ; que si un maître ou un compagnon est en difficulté, chacun lui doit aide et assistance.
Un siècle plus tard, les tailleurs de pierre de Strasbourg, réunis au sein d'une « Mère-Loge », suivaient les principes professionnels et moraux de leurs prédécesseurs ; statuant en ouÂtre, dans leur « Livre des Frères », que seuls seront maîtres ceux qui pourront bâtir de superbes édifices ou de beaux ouÂvrages ; que tout apprenti donnera à la CorpoÂration sa parole d'honneur d'obéir à son maître durant les cinq années de son conÂtrat ; que l'apprenti ne commuÂniÂquera ou ne révélera à personne le salut maçonnique et la poignée [de mains] sauf à qui il peut régulièrement les comÂmuniquer…
Il est indéniable, encore, selon d'autres documents connus, qu'en l'année 1600, le 8 juin pour être précis, un certain John BosÂwell, « laird » d'Auchinleck (en Écosse), fut « accepté » dans une loge d'Édimbourg par ses membres opératifs. Il est prouvé que, trente ans plus tard, plusieurs notables furent acceptés dans la Loge de la Saint Mary's Chapel. Il est établi encore qu'en 1670, à la loge d'Aberdeen, toujours en Écosse, figuraient seulement, sur quarante-neuf membres, dix « opéÂraÂtifs », les autres étant nobles, « gentlemen », magistrats, hommes d'afÂfaires, ou simples commerçants.
La première institution « spéculative » (entendez par là non opérative) maçonnique fut fondée en 1717 lorsque quaÂtre des loges maçonniques de Londres se réunirent en vue de céléÂbrer en commun la Saint-Jean d'été. La Grande Loge de LonÂdres, dont la présidence allait bientôt revenir à un memÂbre de la famille royale, était par la suite instituée Grande Loge d'AnÂgleÂterre puis, enfin, Grande Loge Unie d'AnÂgleÂterre.
Il est à noter que si la Grande Loge de Londres comptait tout au plus, à sa création, une centaine de memÂbres, la Grande Loge Unie d'Angleterre, en regroupe auÂjourd'hui plus de 270 000.
MAÇON LIBRE OU FRANC-MAÇON
On s'est souvent interrogé sur l'origine du terme « franc maçon » en le rapprochant de ceux de franc-archer, de franc-bourgeois ou de franc-métier.
Le maçon – ou tailleur de pierre – pouvant être, à l'époÂque du servage, un homme libre de ses mouvements et de son travail. Mais on a évoqué également la notion de « maÂçon libre » en rattachant le terme à une pratique anglo-saxonne selon laquelle le maître maçon détenait le privilège de travailler et de façonner la « free stone », une pierre au grain plus fin que la « rough stone » ou pierre brute.
L'interrogation demeure en la matière, sans que l'hypoÂthétique réponse qui peut un jour lui être apportée ait, vraiment, une grande importance. Personnellement, j'ai tenÂdance à penÂÂser que le franc-maçon a toujours été un homme « liÂbre » ; d'ailÂleurs, là où l'homme cesse d'être libre, tant de sa pensée que de ses actes, disparaît la Franc-MaçonÂnerie.
ET AUJOURD'HUI…
A l'heure où j'écris ces lignes, la Franc-MaçonÂnerie reÂprésente dans le monde plus de cinq millions de memÂbres, hommes ou femmes – car les femmes se sont faites, dès le XVIIIe siècle –, « francs-maçonnes », dont une bonne moitié réside aujourd'hui dans les pays anglo-saxons.
Il existe des obédiences pour hommes, pour femmes ou mixÂtes ; des rites auxquels on donne des noms divers ; des deÂgrés dits symboliques, d'apprenti, de compagnon et de maître maÂçon ; il existe enfin des degrés supérieurs dont le nombre et les titres peuvent prêter à confusion : être CheÂvaÂlier de l'Orient n'apporte toutefois ni une qualité nobiliaire, ni une préséance, mais tout simplement une satisfaction moÂrale, dans le cadre d'un épanouissement spirituel.
En France, avec une trentaine de Grandes Loges ou de Grand Orients différents, on dénombre en cette année 2008 quelque 160 000 francs-maçons (et francs-maçonnes). Vient en tête le Grand Orient de France, avec 47 000 membres. Suivent, dans l'ordre, la GranÂde Loge NatioÂnale Française, 38 000, et la GranÂde LoÂge de FranÂce, 27 000.
En quatrième position, on trouve la première obédience pour femmes, dénommée, tout naturellement, Grande Loge Féminine de France, avec 12 000 membres ; les autres obéÂdiences n'ont pour la plupart que quelques milÂliers, voire que quelque centaines ou, même, dizaines d'adeptes.
EN GUISE DE CONCLUSION…
Je dirai pour finir que la Franc-Maçonnerie m'apparaît plus comme un sujet de pensée, d'étude et d'action perÂsonnel que comÂme une organisation à regarder avec cirÂconsÂÂÂÂpecÂtion et méÂfiance de l'extérieur ; il faut avoir l'audace d'en pousser la porte pour envisager la connaître et l'apÂprécier à sa juste valeur.
Ce que je puis affirmer, sans courir le risque d'êÂtre contredit, c'est que si la « Confrérie des Francs-Maçons » n'est jamais parvenue à rendre meilÂleur un homme mauvais, elle s'est révélée, de toute éternité, capable de bonifier celui qui avait le courage et la persévérance d'en pratiquer les enseÂignements ésotériques.
Je suppose et j'espère qu'il en sera toujours ainsi.
C'est pourquoi je suis, et demeurerai, Franc-Maçon.
Guy Chassagnard