Trois points c'est tout

Dialectique et raison

Dialectique et raison

 

La dialectique est, selon le Dictionnaire Robert, « l’art de discuter Â». C’est « l’ensemble des moyens mis en Å“uvre dans la discussion en vue de démontrer, réfuter, emporter la conviction Â».

C’est le moyen de montrer que l’on a raison, de raisonner en faisant appel à un bon sens qui est souvent quelque peu piégé. C’est une logique de l’apparence. Une synthèse orientée dans le sens que l’on souhaite entre des thèses que l’on a exposées à cette fin.

Déjà les sophistes grecs apprenaient à parler en public de manière à l’emporter sur un adversaire, dans une discussion, quelle que soit la valeur intrinsèque de ce qu’ils défendaient. La logique apparente primait la vérité. L’important n’était pas d’avoir raison mais de savoir l’emporter face à des contradicteurs.

Des argumentaires sont construits ainsi. Ce sont des raisonnements « prêts à porter, Â» qui dispensent de réfléchir pour exposer ses propres idées : il suffit alors de réciter des arguments empruntés à d’autres, qui peuvent n’être que des arguties. C’est tout l’art de la langue de bois.

Les sophismes ont la connotation d’une logique formelle aboutissant à des conclusions absurdes. Personne ne s’en réclame aujourd’hui. La dialectique n’a pas plus bonne presse, mais on n’a pas besoin de s’en réclamer pour en user.

Les bonimenteurs de foire –qui seraient des menteurs- proclament les vertus matérielles des produits qu’ils mettent en vente et ils vantent les garanties qu’ils offrent aux chalands, nombreux à se laisser convaincre.

Edgar Faure, qui s’y connaissait, disait au niveau politique, avec réalisme, que « les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient Â» sous-entendant que ce n’est pas le cas des candidats qui les annoncent.

Il est vrai que l’on passe vite d’un domaine à l’autre : les staliniens appelaient entre eux, avec mépris, « idiots utiles Â» les « compagnons de route Â» qui s’associaient à leurs initiatives sans être membres du parti… Ailleurs cela a eu certainement des équivalences !...

Faut-il croire qu’en passant de la « réclame Â» à « la publicité Â» les annonceurs sont devenus plus sincères que les politiques en campagne ou les autres utilisateurs d’argumentaires dialectico-sophistes ? En quelques années les lois sont devenues plus contraignantes contre la publicité mensongère et elles ont promu une certaine éthique à propos des sujets traités et des moyens employés. Une certaine moralisation est intervenue dans ce domaine même si des progrès peuvent encore être faits.

Cette liste ne sera jamais exhaustive des mauvais usages de l’art de duper les autres. Il faudrait la compléter avec les diverses formes d’escroqueries et d’abus de confiance qui font tant de victimes. J’ai déjà eu l’occasion de remarquer que les escrocs sont des gens intelligents qui savent bien manipuler les autres, les flattant ce qu’il faut pour leur faire accepter leurs mensonges pris pour des vérités.

Si ce mauvais usage est certain et bien établi, il n’en demeure pas moins que ce n’est que par la discussion et l’échange d’arguments entre des personnes d’opinion différente que l’on peut progresser intellectuellement en tant qu’individus, que les sociétés peuvent avancer et que les sciences progressent.

Au Moyen Age, la scolastique avait mis au point une forme de confrontation des idées entre deux adversaires, avec l’arbitrage d’un juge-président. Cela s’appelait « une dispute Â». L’opposition des idées était soumise aux critères du président, qui était un dignitaire ecclésiastique qu’il fallait convaincre.

Personne n’a oublié l’adaptation télévisée de la « La controverse de Valladolid Â» qui opposa partisans et adversaires du fait que les amérindiens avaient une âme, autrement dit que, pour l’Eglise, ils étaient des hommes. D’autres disputes eurent lieu entre parfaits cathares et prédicateurs avant que l’Inquisition ne sévisse…

Nous avions et nous avons toujours des livres exposant des idées et des opinions. Nous avons maintenant la pluralité des talk-shows politiques, sociaux, ou autres, formes modernes d’expression qui peuplent les chaînes de télévision… et nous éclairent par l’intervention de spécialistes, des partisans d’une opinion et de modérateurs qui canalisent les débats.

Ces échanges peuvent être orientés –rien n’est parfait- mais ils présentent profusion de prises de position proposées aux spectateurs. Cependant il y a un « mais Â» : chacun des intervenants est virtuose dans « l’art de discuter… en vue d’emporter la conviction. Â» Parfois les dires de l’un ou de l’autre se complètent sans se contredire en tout… parfois ils s’opposent mais ils paraissent toujours convaincants !…

L’auditeur convaincu suivra l’opinion qui lui convient parce que c’est la sienne « et qu’il la partage, donc Â», sans accorder d’importance aux arguments adverses, les réfutant en bloc sans leur reconnaître la moindre part de vérité… et, pourtant… « Si on ferme la porte à toutes les erreurs ne va-t-on pas risquer de laisser à la porte une vérité Â» pourrait-on dire en paraphrasant Tagore ?

L’auditeur éclairé saura faire la part des choses entre les thèses opposées et retiendra ce qui lui semble valable dans chacune. Mais il sera cependant enclin à suivre son opinion préalable, même si elle a été modifiée partiellement par le débat.

Il y a selon les époques des pensées dominantes, effets de mode ou influence d’écrivains, de penseurs ou de leaders charismatiques. Si nous sommes  dans une société moderne et démocratique il est très rare qu’il n’y ait qu’une pensée unique s’imposant intimement à tous. Sa dénonciation fait pourtant toujours partie de l’arsenal dialectique de tout opposant bien organisé.

Il est habituel que « le préjugé Â» précède « le jugé Â» et qu’il l’influe. Il est normal que l’affectif, qui nous concerne personnellement, dirige notre choix.

Si on ne veut pas jouer un rôle inerte d’écoute passive, il nous faut savoir utiliser la raison, le raisonnement qui intègre les arguments entendus à notre expérience et à nos connaissances. Il faut avoir toujours en alerte notre sens critique si nous voulons garder notre libre arbitre.

L’intelligence n’est jamais passive. Avivée par l’esprit critique, alimentée par les arguments nouveaux, elle doit permettre de séparer à l’aide de la raison l’argutie des arguments.

Notre capacité à évoluer, à intégrer les connaissances nouvelles et les arguments qui en résultent dépendent de notre ouverture aux autres. L’enfermement sur des idées définitives, la fermeture aux idées qui nous sont étrangères ne mènent qu’à la sclérose intellectuelle. Respect, écoute, mais exercice de notre raison pour accepter ou refuser ces idées, car nous n’avons pas à les adopter automatiquement.

Quelles que puissent être les dérives dialectiques, mieux vaux écoute et participation aux débats et aux échanges que repli frileux sur des certitudes sclérosées.

Raymond BELTRAN

Le 11 mars 2010


12/03/2010
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